Les idées de Solen sur le travail du sexe ont beaucoup évolué au cours de sa vie. Iel nous explique comment elles ont changé et quelle est sa position actuelle.
Je ne suis pas une personne légitime pour parler du travail du sexe : je ne suis concerné·e ni de près ni de loin, et je n'ai pas d'expertise particulière sur le sujet. Ce dont je peux parler, c'est l'évolution de mes idées sur le sujet.
Je viens d'une famille nucléaire plutôt aisée, de gauche. J'ai des diplômes et un travail salarié. Je n'ai pas de TDS (travailleur ou travailleuse du sexe) dans mon entourage — que je sache. Quand j'ai grandi, j'ai absorbé les opinions majoritaires : les prostituées sont exploitées, leur métier est dégradant, personne ne voudrait faire ça. Qui plus est, comme la sexualité a été un sujet compliqué pour moi, je n'arrivais pas à me représenter qu'on puisse vouloir faire ce métier.
J'ai commencé à évoluer quand j'ai considéré les choses d'un point de vue pragmatique plutôt que moral : que le travail du sexe soit bien ou mal, peu importe en réalité. Il existe des gens qui le pratiquent, pas forcément par choix. Ce sont des êtres humains, par conséquent, il faut leur permettre d'avoir de bonnes conditions de vie. Si une personne est poussée à la prostitution parce qu'elle n'a pas de ressources, ce n'est pas la sanctionner qui l'en fera sortir. Lui donner accès à des ressources, oui.
Je restais toujours dans l'idée que "dans un monde idéal, il n'y aurait pas de travail du sexe, puisque la seule raison pour laquelle il existe, c'est le patriarcat".
Et puis, j'ai lu. Des témoignages très divers. Des analyses. J'ai fait mes devoirs, quoi. Et je me suis rendu compte que la réalité était bien plus complexe. J'ai questionné les idées qu'il y avait derrière ma position.
Je considérais que la prostitution était fondamentalement différente de tous les autres métiers. Parce qu'il y avait du sexe, mais surtout parce que ça engageait le corps. Mais quelle est la différence avec le métier de caissier·ère ? D'ouvrier ? Là aussi le corps est engagé, utilisé, usé.
Je voyais le sexe comme quelque chose de particulier, de très intime, à réserver avec son ou sa partenaire de vie. Sauf que ce n'est pas une expérience partagée par tout le monde. Même si pour un certain nombre de personnes, le sexe, c'est très intime (je suis dans ce cas), ce n'est pas le cas de tout le monde. Il n'y a qu'à voir les histoires de coup d'un soir. Maintenir que tout le monde doit voir le sexe comme "sacré" est une posture morale, qui n'a pas lieu d'être.
Je ne pensais qu'aux actes où une femme (parfois un homme) a un rapport sexuel avec un client (parfois une cliente). Cependant, les métiers autour du sexe sont bien plus divers, et encore plus avec Internet : c'est aussi le téléphone rose, les escorts, les camgirls et camboys[1], les acteurices porno, les stripteaser·euses… Où s'arrête réellement le travail du sexe ? L'utilisation de l'érotisme dans les publicités n'a-t-il rien à voir avec le sexe ? Les hôtesses dans les salons non plus ?
Je pensais qu'on ne pouvait pas vouloir ce métier. Pourtant, quand j'ai lu les témoignages, j'ai vu qu'il y a des personnes qui l'apprécient. Ça peut être pour ses conditions d'exercice (horaires choisis, pas besoin de travailler 35h, pas de patron…), mais aussi pour le métier en lui-même. Car il ne s'agit pas juste d'exécuter un acte sexuel : il peut aussi y avoir des dialogues, de l'accompagnement…
Je croyais que vouloir voir une prostituée, c'est forcément du sexisme. Évidemment que ça existe. Mais ce n'est pas la seule possibilité. Il peut y avoir l'envie de recourir à un·e professionnel·le pour avoir une prestation de qualité (un peu comme un massage : son ou sa partenaire peut le faire, mais ce n'est pas le même niveau de technique). On peut avoir besoin d'éducation sur le sujet. On peut vouloir explorer d'autres parties de sa sexualité. Et il est possible de faire tout ça avec respect pour les travailleureuses du sexe.
Finalement, je pense que dans un monde idéal, il y aurait encore du travail du sexe, mais qu'il serait assez différent de la répartition actuelle.
Quelles sont mes positions actuelles ?
Il faut supprimer le stigma social autour du travail du sexe. Même pas pour des questions de morale mais de pragmatisme. Si on veut que les personnes qui ne veulent pas le faire puissent en sortir, il faut qu'elles ne soient pas marquées à vie par cette expérience. Quand on ne peut plus trouver de travail parce qu'on s'est prostitué·e, il est difficile de ne pas y retourner.
Il faut que les TDS puissent effectuer leur travail dans de bonnes conditions. Ce qui implique d'écouter leurs demandes, et non de leur en imposer par principe. La mise en place de la pénalisation des clients, annoncée comme une mesure de protection, a en réalité fragilisé les TDS.
Il faut lutter contre la traite humaine, évidemment, mais il faut le faire de façon efficace. Stigmatiser toustes les TDS ne permet pas d'atteindre cet objectif. Assimiler tout le travail du sexe à de la traite non plus. La traite n'est pas un travail mais de l'esclavage.
Il faut donner une meilleure éducation sentimentale et sexuelle. La loi qui institue trois séances d'éducation à la sexualité dans les écoles, les collèges et les lycées date de 2001, mais elle est encore très loin d'être appliquée. Pour voir à quoi ça peut ressembler en primaire, Binge Audio a produit un excellent podcast « C'est quoi l'amour, maîtresse ? ».
Il faut considérer que le travail du sexe peut avoir une utilité et peut être un métier qui intéresse certaines personnes. Ce n'est pas parce qu'on ne le ferait pas soi-même que cela est vrai pour tout le monde.
Si vous voulez aller plus loin et en apprendre davantage de la part des concerné·es, je vous conseille l'excellent livre TDS : Témoignages de travailleuses et travailleurs du sexe. Il rassemble un grand nombre de témoignages qui montrent la diversité des vécus et des parcours. Le dernier tiers est un état des lieux de la prostitution en France, et fait un excellent complément.
https://audiable.com/boutique/cat_document/tds/
À consulter également, l'association Tullia, créée par et pour des travailleureuses du sexe, propose une liste de ressources : https://tullia.fr/ressources/
[1] Les camboys et camgirls sont des personnes qui exposent leur corps de façon sexuelle sur Internet lors de sessions vidéo en direct. Iels utilisent des plateformes de sexcam. L'une des plus connues est OnlyFans.